Les lettres d'Eléonore
Les lettres d'Eléonore

Mais qu'est-ce que c'est que cette liasse de lettres manuscrites, truffées de fautes d'orthographe et toutes ornées de cachets de cire avec leur ruban de soie colorée ?

Quel trésor avons-nous là ? Imaginez, mesdames et messieurs, une collection de 43 lettres manuscrites, rien que ça ! Et pas n'importe quelles lettres, puisqu'il s'agit de la correspondance adressée à son père par une figure de la haute noblesse française du Nord de la France, la Maréchale d'Hocquincourt en personne !

Qui était au juste cette Maréchale d'Hocquincourt ? Eh bien, mes amis, je vous présente Éléonore d'Estampes de Valençay, une femme au destin fascinant. Fille de Jacques d'Estampes, seigneur de Valençay et d'Happlaincourt, gouverneur de Calais, elle épousa en 1628 Charles de Monchy, marquis d'Hocquincourt, maréchal de France et gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye. Voilà un mariage caractéristique des grandes unions de cette époque, qui associaient traditionnellement deux grandes familles aristocratiques aux intérêts convergents.

Ces lettres adressées à son père par Éléonore, avant et après son mariage, nous invitent à côtoyer son univers pendant près de vingt ans. On y découvre une jeune fille pleine de candeur et d'obéissance enfantine, résidant à Boran-sur-Oise. Puis, au fil des missives, on voit Éléonore grandir et aborder des sujets plus sérieux, notamment lorsqu'elle réside à Plainville ou à Paris. Elle nous parle des rumeurs politiques qu’elle entend, des mouvements de troupes qu’elle observe, des visites qu'elle reçoit, des conflits avec son mari qui abuse de sa dot (quelle horreur !)…

Ah, les joies du mariage !

Mais Éléonore ne se contente pas de colporter auprès de son père les rumeurs politiques ou d'évoquer ses difficultés conjugales… Elle transmet également au patriarche des nouvelles de sa famille, en particulier des femmes qui la composaient. Sa mère Louise Blondel de Joigny, sa "mère de vie" (appellation qui désigne sans doute sa nourrice), sa sœur Charlotte, religieuse puis abbesse, sa tante ou les amies de la famille, etc. Et elle lui rapporte également les renseignements qui pourraient lui servir dans la direction de ses affaires. On sent l'importance du rôle qu'elle joue auprès de sa famille. Et, mariée ou non, c’est invariablement de son patronyme de jeune fille (« E. d’Estampes ») qu’elle signera ses missives à son père, qui les annotera, lui, au fur et à mesure de leur réception, en indiquant après son mariage son nom d’épouse : « Ma fille d’Hocquincourt ».

Histoire de ne pas s’emmêler les pinceaux.

On peut le dire : la vie d'Éléonore n'a pas été un long fleuve tranquille. Elle fut mère de huit enfants, parmi lesquels… sept garçons ! dont plusieurs suivirent les traces de leur père et de leur grand-père dans la carrière des armes. Et figurez-vous qu’un beau jour son mari décida (pour plaire à d'autres femmes, dit-on) de trahir la cour du Roi de France et de rejoindre les Espagnols en 1655… Rien de moins ! Il finit par être tué en 1658 lors de la défense de Dunkerque pour le compte des Espagnols, qui tenaient alors la ville en leur possession. Éléonore devenue veuve eut également le malheur de voir mourir deux de ses fils au cours d’opérations militaires, en 1665 et 1675. Mais elle ne perdit pas courage et se lança en 1667 dans une action en justice contre les maisons de Nesle et de Montcavrel, pour réclamer une somme qui lui était due. Le Parlement rendit presque immédiatement un arrêt en sa faveur, mais la procédure semble avoir été relancée après sa mort en 1679…

Une véritable saga !

Mais revenons à nos lettres. Elles constituent non seulement un témoignage précieux sur la vie familiale et sur le rôle social des femmes de la haute noblesse française, mais elles sont également magnifiques à lire et… à regarder ! Les sceaux de cire, les témoins de soie colorée, le maniement de la langue française, le formalisme dont elles sont empreintes et le charme des formules qu’Éléonore y emploie pour exprimer ses sentiments… tout y est pour nous amener dans l'ambiance de l'époque. Et l’orthographe de ces missives, pour ainsi dire inexistante, ne reflète nullement une quelconque négligence de la part de Léonore mais plutôt son absence de formation académique. C'était encore le cas à son époque pour nombre de femmes, quel que soit leur rang et quelle que soit leur condition. Cela n'en rend que plus émouvantes ces lignes écrites à son père dans la plus grande ignorance des règles « aurtaugrafiques » (ce qui ne manque pas de lui attirer le courroux de son paternel).

En conclusion, chères lectrices et chers lecteurs, cette collection de lettres de la Maréchale d'Hocquincourt est un véritable trésor historique. Elles nous permettent de plonger dans l'intimité d'une famille de grands seigneurs de la guerre français au 17e siècle, et de lever le voile sur certaines réalités de la vie des femmes au sein de la noblesse d'épée de cette époque.

Si vous aimez vous lancer la tête la première dans des documents qui vous transportent plusieurs siècles en arrière, au risque d'avoir du mal à en revenir, Léonore d'Estampes de Valençay n'attend que vous… N’hésitez pas à lui écrire, nous transmettrons !
posté par  Cecilie à  11:26 | commentaires [0]


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