"Eloge de la Babiole"
BABIOLE ÉTYM. XVIe; ital. babbola « bêtise, sottise, enfantillage », sans doute d'une rac. bab- (--> Babiller); Guiraud suppose une forme en lat. pop. *babbiola.

1Vx. Jouet d'enfant. --> Joujou.

Objet de peu de valeur, et, au fig., chose sans importance. --> Amusette, bagatelle, bêtise, bibelot, bibus (vx), bricole, brimborion, broutille, frivolité, futilité, niaiserie, rien.


A un ami bibliophile

Si en ce moment votre âme de bibliophile frémit de désir à la pensée de maroquins richement ornés, de précieux volumes et de monuments typographiques (dont le poids en papier vous coûterait le prix de l’or qui couvre leurs reliures), il est peut-être préférable de ne pas continuer la lecture de ce catalogue et de passer votre chemin pour le moment. Donnez-vous donc le temps d’y revenir, un autre jour. La vie de l’amoureux des livres est en effet riche en péripéties, et son chemin tortueux pourrait bien vous dévoiler tout seul le sortilège des babioles, mieux que je ne saurais le faire… Mais si vous insistez, et puisque surtout vous me promettez de ne pas aller au-delà de cette première page (pour ne pas être infidèle aux orgueilleuses beautés de votre bibliothèque de salon), je vais tout de même vous confier quelques mots sur le charme entêtant des babioles.

Unanimement reconnues sans valeur, les babioles n’ont pas leur place sur les étagères vernies des bibliothèques de prestige. Tout au plus pourra-t-on en trouver quelques-unes, oubliées au fond d’un tiroir où on les aura enfouies comme la preuve embarrassante d’une tocade sans lendemain. Mais bien souvent on ne les y remarque même pas, tant elles paraissent éteintes devant les beautés sublimes qui s’étalent dans les vitrines et sur les rayonnages.

C’est que, pour dévoiler leurs charmes, les babioles ont besoin de rencontrer celui qui saura les déchiffrer. C’est une grande différence avec les œuvres maîtresses que la célébrité a converties en monuments et qui continueraient à être des chefs d’œuvre même si il n’y avait plus un seul homme sur la terre pour les lire. Vous ne me croyez pas ? Prêtez donc votre attention à une babiole et vous verrez comme elle prend des couleurs, et comme son babillage réputé insignifiant peut devenir touchant et vous amener à de profondes réflexions.

N’allez pas croire pour autant que la babiole soit facile à conquérir. Certains pensent même que de toutes les quêtes bibliophiliques c’est la plus exigeante, car les babioles ont beau être légion chacune d’elles n’en est pas moins rare, voire rarissime. Tout bibliophile qui a perdu un jour une babiole dont il avait percé le secret, sait à quel point une telle perte est irréparable.

Il y a une dizaine d’années, un client hollandais me passa commande d’une petite plaquette rare de 4 pages sur le sujet qu’il collectionne passionnément depuis trente ans. Par malheur la plaquette s’est égarée quelque part dans nos locaux et pour mystérieux que cela puisse paraître nous n’avons jamais pu remettre la main dessus. Ce client a réuni une bibliothèque considérable où figurent les principaux chefs d’œuvre du genre, certains très précieux. Depuis dix ans, dans tous les salons où nous nous croisons, il ne manque jamais de me demander si j’ai retrouvé sa plaquette perdue à 70 euros. Voilà comment cette plaquette peu importante, une babiole dans toute sa splendeur, est devenue un véritable mythe pour nous deux et je suis prêt à parier que si je la retrouve un jour il ne s’en séparera à aucun prix.

Parfois née d’une simple circonstance, souvent conçue sans génie et toujours oubliée de tous, la babiole dans sa nudité sans paillettes ne renonce jamais à sa noblesse fondamentale : celle de l’imprimerie, qui donne forme et permanence à la pensée, même élémentaire, même fugace. La fortune et la gloire ont posé leur regard sur d’autres ouvrages ; les mêmes presses et les mêmes caractères ont amené au firmament d’autres feuilles du même papier mais qu’importe ? Ces pages sont tombées du même arbre et ont une sève commune à celle de leurs illustres contemporaines.

Si vous avez poursuivi votre lecture jusqu’ici, cher ami bibliophile, pourquoi ne pas continuer ? Oubliez vos promesses… et venez donc voir si parmi ces babioles il n’y en a pas une qu’il vous ferait vraiment plaisir d’avoir. Après tout c’est Noël et la babiole est à la bibliophilie ce que Cendrillon est aux princesses des contes de fées.

Catalogue "101 babioles imprimées"
posté par  Julien Comellas à  18:49 | commentaires [1]


COMMENTAIRE DE L'ARTICLE


posté par   SÉGUR (comtesse de)
12 Fév 2017 à 21:33
J'ai été très heureuse de retrouver ces intéressantes chroniques sur les livres et les amateurs que nous sommes n' y puisent pas seulement quelques anecdotes mais aussi une précieuse connaissance qui éclaire parfois d'un jour nouveau certains sujets; parfois même au risque de se perdre dans un labyrinthe de mystères et de questions non élucidées.
Merci à bientôt...
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